12 mars 2012

Texte d'Hauviette Bethemont

Marine Karbowski
Particules en explosion
Marine Karbowski peint avec véhémence, sur fond d’un magma intemporel et sombre, elle suspend des petites scènes comme autant de nouvelles dans une narration débridée et saturée de couleur.
Marine Karbowski a fait partie de ces étudiants récalcitrants, accrochée contre vents et marée à leurs pinceaux dans des écoles des beaux-arts peu enclines alors à la peinture. Malgré ce black out officiel, sa détermination à considérer le tableau comme un espace d’exploration n’a jamais faibli. Tout dans son parcours rappelle cet entêtement : pour s’inscrire aux beaux-arts d’Avignon, elle n’a pas hésité à passer son bac en suivant des cours du soir, rattrapant ainsi les chemins buissonniers éloignés de tout cursus scolaire qu’elle avait pris dès 16 ans. Elle ne risquait pas ensuite de baisser les bras sous prétexte de se conformer à l’ambiance du moment !
Elle en a cependant gardé l’idée d’une certaine exclusion et d’une recherche qui ne pourrait se mener qu’en puisant dans ses propres ressources. De fait, Marine Karbowski travaille comme une combattante, seule face à la toile, sans croquis, en laissant venir comme elle le dit la forme au fil de ses gestes. Elle produit sans relâche, n’hésitant pas à déchirer ou détruire ce qui ne lui convient pas. Cette absorption dans sa tâche est son principal atout.
Cette implacable volonté de ne jamais fléchir se retrouve dans ses tableaux et leurs évolutions. En 2006, ce sont d’abord de grands espaces paysagers ou de frêles silhouettes humaines se posent. Déjà la couleur sature en grands plans la toile. Puis au fil des ans les thèmes se complexifient, le tableau se désagrège, se pixellise en nuances de touches. Une faune s’invite sur fond de forêts, d’arbres mélangés comme une palette de Klimt. En 2010, elle quitte les vues extérieurs pour l’introspection plus intime d’un salon. Les motifs floraux demeurent mais se dessinent désormais dans les tapisseries et les tissus de bergères ou fauteuils. Le cadrage est moins statique et s’invente hors des perspectives classiques. Puis, petit à petit le tableau s’étire sur un fond abimé de teintes sombres ou explosent soudain, comme violemment éclairées, de multiples petites scénettes. La toile fourmille de détails incongrus, obligeant le regard à une traversée totale et zigzagante de celle-ci.
Si les premières œuvres étaient évidentes de séduction, elles sont devenues au fil du temps des pièges un peu hallucinés pour l’œil. Un mélange étrange d’animaux et d’humains d’hybridation incongrue où les dauphins se chevauchent, les chevaux se dédoublent et les méduses hypnotisent de flashs submergés de couleur. La silhouette humaine se fait plus présente, en écho parfois de l’histoire de l’art, revêtant les traits de quelques grandes peintures. Marine Karbowski aimant jouer de ce savoir et de ce savoir-faire, Elle invite Munch, Klimt ou Ensor à de petits tours récréatifs dans son univers.
Aujourd’hui, son univers est tout de fantasmes et de violence où les corps s’étreignent et se bousculent, se confrontent dans la forme, s’entremêlent dans un jeu qui se situe à la frontière du désir et de la répulsion. Comme un bon riff de guitare bien électrisé.
Marine Karbowski parle volontiers lorsqu’elle évoque son travail de surréalisme absurde, elle dit du reste aimer Edgard Allan Poe tout comme Magritte. Un aspect littéraire que l’on retrouve dans le choix de ses titres : le cheval qui s’assemble, la pêche à la raie, ici, c’est l’enfer mais peut-on y manger des glaces ?, paysage de l’intérieur avec lapin, chevaucher le dauphin, etc., etc… Petite note d’humour pour des tableaux dont l’un des thèmes récurrents semble être sa fascination pour les méduses « des animaux mous, sans os, beaux et brillants mais aussi très agressifs, référence aussi à la Méduse de la Mythologie capable de pétrifier sur place celui qui ose la regarder » L’image pétrifiée donc qu’offre la peinture, image sans rapport avec l’image arrêtée de la photographie et qu’elle creuse obstinément pour en offrir toutes les aspérités du hors cadre possible.
Dans ses peintures Marine Karbowski mélange à loisir les formes, les couleurs en ce qu’elle appelle « une bouillasse ». Projection tout azimut de délires acérés explosant ici et là sur la toile. Elle offre une incroyable panoplie de petites scénettes, rendant le tableau de plus en plus complexe. Sur un fond allant du vert sombre au bleu profond en une nuit riche de nuances, elle semble éclairer d’un projecteur des extraits de bruits et de lumières, des zones déchirées où se révèlent des corps assemblés, pose sexuée ou simple corps à corps , des bribes d’animalité, des gerbes de fleurs, d’étincelles en un grand charivari à décrypter. Comme si elle déposait au regard des autres des multitudes de secrets qu’elle ne tient somme toute pas à partager vraiment ou totalement.
Dans son auto portrait « Chère peintre » elle se présente comme une aviatrice , de celles héroïques des débuts de l’aviation, « parce que lorsque je peins, je voyage, je voyage le plus loin possible », il y a aussi, accumulation oblige, une petite scène de « baston », car pour elle la violence fait partie de ce voyage, une palette bien sûr, un animal non encore homologué, hybride de cheval et de main, quelques explosion festives et bien entendu, une méduse rose façon fluo qui nage entre deux aplats de couleurs.
Marine Karbowski explore aussi le dessin, jamais de crayons, de feutre ou de croquis mais de la peinture acrylique dans des superbes raccourcis de mise en espace. Là pas de scène se multipliant sur fond d’obscurité mais des jeux sans fin où l’abstraction et la figuration se relaient. Forme pure, couleur mise en équation, délicatesse d’une série sur le baiser ou violence de celle intitulée exhibition. Dans cette dernière ce n’est pas un homme qui ouvre son inévitable imperméable mais une femme dont on ne voit pas la tête, juste le tronc, qui ouvre à pleine main son corsage sur une poitrine travaillée comme un champ de couleur jetées. Là encore l’artiste esquisse une narration, propose une mise à nu qui nous invite et nous oblige au regard, à l’indiscrétion au voyeurisme.
C’est sur cette violence- là, du regard que Marine Karbowski tient à peindre, en toute intimité…
Oviette Bethemont